Mauritanie : Les communautés locales et le combat herculéen pour l’accès aux terroirs et aux ressources naturelles

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Nouakchott, Mauritania | Photo: Blackpast

Avant-propos

The Fondation des media pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) assure le suivi et rapport sur la liberté d’expression (hors ligne et en ligne), l’activisme environnemental (hors ligne et en ligne). Le suivi se concentre particulièrement sur les défis auxquels sont confrontés les journalistes, les activistes et les communautés qui sont engagés dans la protection de l’environnement.  Cet exercice fait partie des activités approuvées dans le cadre du projet de la MFWA intitulé «Promouvoir l’agroécologie et la Durabilité Environnementale; et Renforcer la Liberté d’Expression en Afrique de l’Ouest », qui est mis en œuvre avec le soutien financier de The 11th Hour Projet.

Le projet est axé sur les questions de détérioration de l’environnement, d’agroécologie et de moyens de subsistance durables, focalisant sur les défis auxquels font face les journalistes et les activistes environnementaux, les communautés affectées par les pratiques environnementales et agricoles non durables et nocives. Cet article porte un regard sur le système féodal qui prévaut en Mauritanie et son impact sur les communautés vulnérables, sur leur moyen de subsistance ainsi que les défis auxquels font face les activistes réclamant des reformes foncières.

Introduction

La Mauritanie, pays aux ¾ désertique fait face à de grands défis environnementaux. L’avancée inexorable du désert, la pression sur les terres arables et sur les ressources naturelles, les menaces de submersion marine sur la capitale, Nouakchott, ce sont là autant de défis qui ne sont pas sans conséquences sur les populations locales, généralement peu impactées par les politiques publiques environnementales.

Le secteur rural est l’un des secteurs les plus importants de l’économie mauritanienne. En effet, plus de 62 %) de la population du pays vit principalement des activités rurales, il contribue pour 17% à la formation du PIB et il est le second pourvoyeur d’emploi dans le pays en employant environ 21% des actifs.

Mais il se trouve que l’accès à la terre et aux ressources naturelles n’est pas aussi libres pour les populations locales dont certaines sont exclues du circuit de production ou du moins exploitées par de puissants propriétaires terriens protégés par l’état.

Face à l’accaparement des terres et à ce que d’aucuns appellent « l’esclavage agricole » des organisations de la société civile, des leaders politiques et des personnalités indépendantes, s’élèvent régulièrement pour dénoncer cet état de choses.

Bien que la liberté d’expression soit reconnue par la constitution de la Mauritanie, il arrive que ceux qui s’élèvent contre ces injustices trouvent des ennuis avec les autorités politiques et sécuritaires.

Le problème foncier

Dans les régions du Sud du pays à savoir le Brakna, le Trarza, le Gorgol et le Guidimaka, le problème foncier se pose avec accuité.

C’est ainsi que dans la région du Trarza par exemple, les populations habitant la zone appelée « Chemama » font toujours face à « l’esclavage foncier », à la pauvreté  et à l’exclusion.

Dans les villages de Elbezoul 2, Mbagnik, Amara, Nkhaila, Oum El Ghoura, les populations continuent à  poser les mêmes problèmes liés à l’absence des services sociaux de base et aux terres cultivables. Sur ce dernier point les litiges sont pendants et l’ordre féodal est toujours de mise, selon le leader anti-esclavagiste Birame Dah Abeid, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle en Mauritanie de juin 2024.

Dans cette zone, aux dires des populations, la plupart des terres arables sont détenus par 3 familles. L’une d’elle détiendrait 1000 ha dans la localité de Mbarwadji. Parallèlement les populations des 3 villages (Ganki, Médina, et Samac) avec un total de 200 familles ne détiendraient qu’une vingtaine d’ha. Face à cette OPA, à cette « discrimination foncière », les paysans locaux qui exploitent la terre depuis des générations ne contrôlent réellement qu’une portion congrue des terroirs.

Ainsi selon les représentants locaux du mouvement anti-esclavagiste  IRA et du parti RAG à El Bezoul 2 (Lexeiba), cette main basse sur les terres agricoles est préjudiciable et constitue un frein pour le développement. Des projets comme celui de Tweserda sont bloqués et leurs initiateurs poursuivis. Ces tracasseries sont vécus par les agriculteurs comme tel est le cas des 71 villages situés sur la bande bordant la ligne Dar El Barka (Brakna)/Assayvat.

« La solution à tous ces problèmes c’est d’abolir toutes ces injustices liées aux terres en révoquant les actes juridiques et en indemnisant les détenteurs de permis conformément aux lois de la République. Et les paysans devraient être les premiers bénéficiaires des terres et doivent avoir accès au crédit agricole », de l’avis de Mr Birame.

Pour être mieux édifiés sur ces questions nous avons donné la parole à un panel composé de personnalités politiques et de la société civile.

Les leaders d’opinion/activistes de l’environnement s’expriment

« La problématique du foncier en Mauritanie est très complexe. En effet, elle est indissociable de la politique raciale, ce qui fait que les victimes sont toujours les populations du Sud. Et ailleurs dans le pays, ce sont toujours des populations vulnérables par leurs origines sociales.

Les usurpateurs, ont un dénominateur commun, s’ils sont nationaux, ils sont proches et protégés par l’Etat. S’ils sont étrangers, ils jouissent largement de la complicité de l’Etat, qui leur déroule un tapis rouge.

Les conflits fonciers, il en existe partout en Mauritanie et dans toutes les régions.  Cependant, ceux de la vallée du fleuve Sénégal sont beaucoup plus visibles, où les populations autochtones assistent impuissants à l’accaparement de leurs terres. Elles vivent ce drame comme racisme, un complot d’État commandité au sommet de l’Etat. Depuis quelques années, les multinationales sont entrés enjeu, avec la connivence des autorités, et des courtiers ou hommes d’affaires pour déposséder les populations du Sud de leurs terres.

En dehors du hold-up de multinationales, les populations de la vallée sont constamment à couteau tiré avec des personnes influentes, qui usent de leur proximité avec l’Etat pour annexer, les terres de pauvres populations.  Dans cet « impérialisme foncier », il faut noter qu’au sein des populations de la vallée, par exemple, les personnes d’origine esclave sont deux fois plus exposées que les autres. Si bien qu’elles n’ont même pas droit à la terre.  Idem pour les femmes à cause des traditions rétrogrades.

La terre appartient à ceux qui la mettent en valeur, est en substance, (l’esprit de la réforme foncière des années 80, de mémoire) a été le coup d’accélérateur donné, aux usurpateurs de tous bords pour envahir les terres, surtout de la vallée.  En effet, cette loi accorde finalement un permis d’occuper aux plus riches et puissants. »

 « Le problème foncier dans la Vallée cause de grosses souffrances pour les populations locales dont l’accès aux terres de culture et de pâturage est de plus en compromis par l’action des Walis et autres autorités administratives qui rétrocèdent ces terres à des lobbies d’hommes d’affaires et à des pontes du pouvoir. Mais ce problème n’est pas circonscrit aux terres de la Vallée. En Assaba, les « adwabas » font également les frais de la politique supremaciste de l’Etat mauritanien, tel à Barkeol où les terres de pâturage des adwaba de Barkeol, des dizaines d’hectares ont été attribués à un gouverneur en fonction. L’affaire a été portée devant les juridictions, » observe Cheikh Haidara, journaliste, Président de l’Association des Journalistes mauritaniens pour la défense du Littoral (AJAL) :

« Cet accaparement des terres au profit d’individualités se fait au détriment de villages entiers. C’est une injustice flagrante qui augmente la pauvreté et l’exode rural. Ces terres de culture ainsi accaparées ne sont pas exploitées et restent des rentes que les usurpateurs par la force de l’autorité gardent pour des spéculations futures, ce qui prive les paysans et éleveurs locaux de sources de subsistance, » poursuivit Cheikh Haidara

« A propos de l’épineux dossiers du foncier au niveau de mon « chamama », je ne peux dire sans grand risque de me tromper qu’il se fait sur la base de discrimination raciale, et le premier a en avoir posé les jalons, c’est l’ancien président de la République Moawiya Ould Taya. Les années 90, il a procédé à une expropriation injuste des terres des autochtones hratines qu’il a attribuées à des hommes maures venus d’ailleurs, résultat: des milliers d’hectares expropriés engendrant une grande tension sociale, pour sa politique raciale,  il créa à l’époque une banque agricole dénommée UNCACEM, financée par la Banque Mondiale.

Cet argent n’a jamais été investis dans l’agriculture mais plutôt dans l’acquisition de cheptel et la construction de maisons dans les grands centres urbains, réduisant ainsi beaucoup de haratines à ce phénomène hideux de l’esclavage. Voir à ce sujet le rapport de 2001 de Péter Smiht consultant à la Banque Mondiale où il montra et ce de manière éloquente comment les fonds alloués de la Banque Mondiale sont devenus des moyens de réduction des hratines en esclavage notamment dans le lac de Rkiz. » – Maham Youssouf, Cadre du parti INSAF (Parti au pouvoir en Mauritanie) :

Quant à Sy Djibril, Journaliste, Directeur du site web Zouératactu, « Le problème foncier s’est toujours posé au pays mais a connu sa vitesse de croisière ces dernières années avec les différents épisodes d’accaparement et de dépossession des terres cultivables dans la vallée du fleuve Sénégal. Les ressources agricoles et forestières sont énormes mais mal exploitées, sinon le rendement ne profite pas aux populations. Les communautés veulent exploiter les terres mais n’ont pas de moyens et ne reçoivent pas l’appui du gouvernement. Les rares terres exploitées par les populations sont à leurs frais ce qui limite la production pour assurer l’autosuffisance alimentaire. De nombreuses populations surtout de la vallée souffrent ces dernières années de l’expropriation de leurs terres agricoles. Ces pratiques sont faites par des opérateurs économiques avec la bénédiction de l’Etat. Dans certaines zones, les populations ont vigoureusement réagi à ces pratiques par des manifestations, des marches parfois réprimées dans la violence.

Ces communautés attendent toujours le soutien et l’encadrement de l’Etat pour mettre à profit leurs surfaces cultivables et assurer ainsi l’autosuffisance alimentaire. Malheureusement, la dernière initiative du gouvernement sous la houlette du ministre Ousmane Kane, à savoir le partenariat investisseurs-propriétaires terriens avec l’arbitrage de l’Etat, n’a pas convaincu les communautés pour s’engager dans ce processus. Une réelle volonté politique est nécessaire pour lancer une véritable campagne agricole dans le pays. »

En Mauritanie, l’esclavage agricole est général. Et ce sont la minorité maure qui détiennent la plupart des terres. Vous avez le cas du département de Rkiz, avec les terres fertiles du Lac Rkiz qui vont de la localité de Thiambène jusqu’à celles de 12/12, de El Adala, Rkiz, Oum El Ghoura, Tékane, Lexeiba I, Lexeiba II, et plusieurs autres localités de la région du Trarza. Toutes ces terres sont exclusivement cultivées par les populations noires de la communauté « Haratine ». Mais le grand paradoxe c’est que toutes ces terres appartiennent aux féodaux de la communauté blanche « maure ».

Et pourtant ce sont les haratines qui y investissent et qui y travaillent sous l’autorité de leurs supposés maîtres maures. Et dès qu’un exploitant éprouve le besoin de sortir de cette tutelle, on lui crée tous les problèmes.

Donc malgré le fait que ce sont les haratines qui depuis toujours ont exploités ces terres, ils demeurent sous la tutelle et à la merci des « maîtres » qui habitent dans les quartiers hupés de la capitale. Cette situation inadmissible a provoqué de graves émeutes le 7 février 2024, à Rkiz. Suite à ces émeutes des négociations entre maîtres et anciens esclaves ont permis à ces derniers d’obtenir 26 ha qu’ils pourront exploiter à leur guise, loin de la tutelle des maîtres. Et avant cette affaire de Rkiz, il y a d’autres affaires d’expropriation comme celle dont a été victime la famille de Aliyine Ould Mecter dans la localité de El Adala. Leur champ prêt à la récolte avait été confisqué pendant le Ramadan car elle n’acceptait pas la tutelle des maures.

Il y a aussi la dernière affaire toute récente de Magta Lahjar et précisément dans la localité de Wad Amour. Là, un haratine du nom de Isselmou Ould Sabar a acquis une terre où il y a une digue. Il a acheté cette terre et l’acte de vente a été fait chez le maire de la localité. Mais quand lui et sa famille ont voulu cultiver cette terre, le Maire les a empêchés et leur a dit : ‘Vous, vous n’êtes pas de cette localité, vous ne faîtes pas partie de nos haratines, donc vous ne pourrez pas cultiver ici. Et le recours déposé au niveau des autorités n’a servi à rien. La gendarmerie était intervenue et a empêché les ayant droits de cultiver leur terre. Des milliers d’autres cas similaires existent et seul l’Etat a la solution avec l’application stricte de la loi.’»

Selon Samba Thiam, Président bdu parti Forces Progressistes du Changement (FPC), « Le foncier, comme tous les autres secteurs est gouverné par la loi de l’apartheid. Et cela ne prendra fin qu’avec la détermination des negro- africains et des haratines c’est- à-dire des negro-mauritaniens en général qui, pour l’instant, n’opposent qu’une faible velléité de résistance par a- coups, hélas ! Et je conclus pour dire qu’on ne peut pas construire un vivre ensemble par l’effacement des uns.

Le problème foncier en Mauritanie remonte à la naissance du pays mais ne concerne essentiellement que vallée du fleuve Sénégal. Chez les arabo-berbères, la terre est l’affaire de la tribu et l’état ne cherche jamais à la déposséder. Dans la vallée, l’Etat à travers ses gouverneurs, ses préfets et ses chefs d’arrondissement ont toujours fait main basse sur plusieurs hectares de terre bien avant la réforme foncière et domaniale de juin 1983. Cette réforme suscitée par une déclaration du mouvement national Démocratique (MND), le 2 février 1982 dans laquelle, ce mouvement demandait à l’état de faire de sorte que ceux qui n’ont pas les terres, particulièrement les Haratines (esclaves affranchis), puissent en acquérir. Cette réforme qui dans son contenu n’est pas totalement mauvaise, a donné l’occasion à l’état de déposséder les populations noires et de faire des arabo-berbères les nouveaux propriétaires terriens. Dans la région du Trarza tout est entre les mains des hommes d’affaires, des officiers supérieurs et autres.  La loi n’a pas été appliquée et les propriétaires terriens qui avaient des documents et ceux qui ne le possédaient pas (droit coutumier) ont tous été dépossédés de leurs terres. Les protestations de toutes les manières n’ont servi dans la plupart des cas à rien.

Pour plusieurs hectares de terres dans les régions du Gorgol et du Brakna où des conflits ont éclaté, les populations attendent toujours le règlement, alors que l’état joue le temps pour remettre les terres aux arabo-berbères ou à des hommes d’affaires possédant des pétrodollars. Devant ce problème, les propriétaires terriens qui disent que la seule ressource qui leur restait est en train d’être dépossédée sont déterminés à combattre jusqu’à la dernière énergie et proposent à ce que :

-Le droit coutumier qui permet à une famille (du petit fils aux arrières, arrières grands parents d’avoir à partager leur « joowre », les terres appartenant à toute la famille de pouvoir les récupérer et demandent à l’état de le valider par des documents.

– les propriétaires terriens sont prêts à donner à ceux qui ont élu domicile des terres cultivables pour usage.

– Ils demandent à ce que cette mesure soit appliquée partout dans le pays.

– Ils demandent à ce que la politique de ceinture adoptée par les arabo-berbères dans toutes les villes de la vallée les empêchant de faire paître leurs animaux et dans certains cas empêchant les localités de pouvoir même avoir des cimetières ou autres lieux vitaux que cela prenne fin. »