La Presse Togolaise Entre les Griffes de la Gendarmerie, de la HAAC et de la Justice

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Depuis le début de l’année, la presse privée togolaise, notamment des journaux, ont payé cher leur désir de liberté d’informer en fouillant des dossiers dont les contenus ont attiré la foudre de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), le Service central de recherche et d’investigation criminelle (SCRIC) de la gendarmerie nationale ainsi que de la Justice.

Le premier à subir la foudre du trio SCRIC-HAAC-Justice est Carlos Komi Kétohou, Directeur de publication de l’hebdomadaire, L’Indépendant Express.

Le 30 décembre 2020, alors qu’il se préparait au réveillon de la Saint-Sylvestre, il reçoit une convocation du SCRIC qui veut l’écouter à propos de son article intitulé : « Scoop de fin d’année : Femmes ministres interpellées pour vol de cuillères dorées », publié dans sa parution 545 du 29 décembre dernier et qui accuse des femmes ministres (sans les citer) d’avoir dérobé des cuillères dorées lors d’une réception.

Gardé à la gendarmerie, il fut relâché le 2 janvier et convoqué le même jour du 2 janvier par la HAAC qui l’a auditionné, en présence du président du Patronat de la presse togolaise (PPT), Isidore Sassou Akollor.

La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), institution en charge de la régulation des médias au Togo l’accuse à cet effet de « violations graves des règles de déontologie et d’éthique » et a adressé le 4 janvier dernier une requête à la justice en vue du retrait du récépissé de parution de l’hebdomadaire. Ce qui fut acté quelques jours plus tard par la Justice.

Le mercredi 3 février, trois journalistes de la presse privée, Charles Kponwadan(site d’information Horizon news), Anani Vidzraku (radio Victoire) , Romuald Lansou( de la web télé Togoinfos), ont été embarqués manu militari dans les locaux de la préfecture du Golfe, en plein centre-ville à  Lomé, la capitale, pour la Brigade territoriale de la gendarmerie nationale où ils ont subi trois heures d’interrogatoire avant d’être relâchés.

Motif : ils ont interviewé un chef de quartier à la sortie d’une audience avec le représentant du pouvoir central dans la capitale. Le préfet, du nom de Komlan Agbotsè, les accuse d’avoir interviewé le chef du quartier d’Adakpamé (Sud-Est de Lomé), sans son autorisation.

Le vendredi 5 février, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), a suspendu pour une durée de 4 mois, le bi-hebdomadaire, L’Alternative, l’accusant d’avoir diffusé de fausses informations sur le ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière, Me Kofi Tsolenyanu et le traitant de « faussaire au gouvernement » dans un article intitulé : « Justice/ Succession Georges Kudawoo : Me Koffi Tsolenyanu, un faussaire au gouvernement ».

L’Alternative et son Directeur de publication, Ferdinand Messan Ayité sont également accusés de « manquements graves aux règles de déontologie et d’éthique de la profession de journaliste ».

Le même journal, déjà, le 4 novembre 2020, a été condamné par le Tribunal de première instance de Lomé, dans le cadre de l’affaire dite « pétrole gate ».

L’Alternative et son directeur de publication Ferdinand Ayité sont condamnés au versement de 4 millions de Fcfa comme amende pour diffamation dans l’affaire dite « Petrolegate » qui l’oppose à la famille Adjakly, dénoncée d’être empêtrée dans un scandale d’importation de produits pétroliers.

Francis Adjakly, le père, et son fils, Fabrice Adjakly, rappelle-t-on, ont instauré un système qui leur permet de gagner des milliards de F CFA qu’ils partagent, sous forme de commissions et rétrocommissions avec d’autres cadres du ministère en charge du commerce.

La justice, malgré les résultats d’un audit accablant pour le clan Adjakly et des cadres du ministère du commerce, dont des anciens ministres, a condamné le journal à payer 2 millions de F CFA sous forme d’amende et inflige la même peine au journaliste ayant révélé l’affaire. Soit, au total, 4 millions de F CFA.

Le 24 février dernier, les journaux Liberté, L’indépendant Express et Le Rendez-vous, sont convoqués à comparaître devant le tribunal pour répondre d’une plainte de l’ex-ministre de l’Economie et des Finances, Adji Otteth Ayassor, suite à la publication en 2015, d’une supposée affaire de corruption liée à la construction de la route Lomé-Vogan-Anfoin, au Sud-Est du pays. La construction de cette route qui mène vers les carrières des phosphates, une des principales ressources minières du pays, qui a mobilisé des milliards, n’a pas encore été livrée, suscitant des critiques diverses.

Le procès n’a pas encore eu lieu. Le tribunal l’a renvoyé au 24 mars, demandant aux journalistes de se faire assistés par des avocats.

Le 9 mars, La chambre administrative de la Cour suprême a confirmé la suspension de quatre mois imposée par la Haute Autorité de la Radiodiffusion et de la Communication (HAAC) au journal L’Alternative.

La cour s’est prononcée contre le journal en dépit d’un témoignage poignant de Ferdinand Ayité, directeur de publication du journal, toutes les recherches du journal avant de publier l’article a l’appui.

Dans une deuxième décision du même jour, la Cour suprême a affirmé la décision de la HAAC de retirer définitivement le récépissé du le journal L’Indépendant Express en lien avec l’article « cuillères en or».

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’ouest s’inquiète de ces nombreuses affaires en un si peu de temps. Cet acharnement contre la presse comme en témoignent les interpellations par le SCRIC, les audiences-sanctions de la HAAC ainsi que des décisions du Tribunal dans le cadre des délits de presse risque de créer un environnement délétère pour l’exercice du métier de journaliste.

Nous appelons donc les autorités togolaises à prendre conscience de la détérioration de la liberté de presse dans le pays et à prendre les mesures idoines pour endiguer la vague de violations de la liberté de presse. Nous exhortons aussi les médias et journalistes à rester solidaires et fidèles à la déontologie et à l’éthique de de la profession.